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GUILLAUME GARDET
Avocat médiateur - Docteur en droit

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L’étendue des pouvoirs du juge du divorce en matière patrimoniale

Le 29 novembre 2012
Les pouvoirs du juge aux affaires familiales ont été considérablement étendus par trois arrêts de la Cour de cassation.

Prolégomènes

 
Le 7 novembre 2012, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a rendu trois arrêts n°11-10.449, n°12-17.394 et n°11-17.377 ayant fait l’objet d’une publication sur le site du cabinet.
 
Ces arrêts concernent les questions de partage du patrimoine des familles à l’issue d’une procédure de divorce et l’implication du notaire dans ces opérations de partage.
 
Chacun de ces trois arrêts fait l’objet d’une publication la plus large possible (légifrance, bulletin), c’est dire l’importance qu’ils revêtent au plan du droit positif, puisqu’ils constituent à cette date, la position officielle de la jurisprudence. Dans l’attente d’un arrêt d’Assemblée plénière ?
 
Le visa de chacun de ces trois arrêts porte sur les articles suivants :
 
Article 267, alinéa 1 et alinéa 4, du Code civil
A défaut d'un règlement conventionnel par les époux, le juge, en prononçant le divorce, ordonne la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux.
(...)
Si le projet de liquidation du régime matrimonial établi par le notaire désigné sur le fondement du 10° de l'article 255 contient des informations suffisantes, le juge, à la demande de l'un ou l'autre des époux, statue sur les désaccords persistant entre eux.
 
Article 1361 du Code de procédure civile
Le tribunal ordonne le partage, s'il peut avoir lieu, ou la vente par licitation si les conditions prévues à l'article 1378 sont réunies.
Lorsque le partage est ordonné, le tribunal peut désigner un notaire chargé de dresser l'acte constatant le partage.
 
 
En considérant ces trois arrêts dans leur ensemble, deux remarques essentielles.
 
D’une part, ces arrêts élargissent considérablement l’emprise du juge du divorce sur les opérations post divorce, notamment celles du partage, en lui enjoignant l’obligation de déclencher les opérations de partage alors qu’il ne sera pas en mesure de contrôler ce partage puisqu’une fois sa décision rendue, il sera mis fin à sa mission et donc, il ne sera pas le juge de ce partage qu’il a pourtant ordonné.
 
D’autre part, ces trois arrêts mettent le notaire au cœur du processus de façon quasi systématique. Dès lors, les personnes qui divorcent se retrouvent systématiquement avec un notaire dans leurs opérations de partage, ce qui, ne s’impose pas en pratique pour toutes les opérations, mais cela entraînera une augmentation non moins substantielle du coût du divorce.
 
Trois questions se posaient dans chacun de ces arrêts, et nous allons voir que leur présentation successive ce 07 novembre 2012 répond à une certaine logique qui ne manquera pas de surprendre.
 
 

1ère question : le juge du divorce a-t-il l’obligation, au moment du prononcé du divorce, d’ordonner le partage de la communauté ?

 
La réponse est affirmative, sans aucune contestation possible. C’est le point de départ de la démarche de la Cour de cassation qui affirme de la sorte la prééminence du juge du divorce quant aux opérations de partage : le juge du divorce est celui qui est le déclencheur du partage, aux termes de l’arrêt Civ. 07 novembre 2012 n°11-10449 :
 
« (...)
Mais sur le second moyen :
Vu l’article 267, alinéa 1, du code civil ;
Attendu qu’en retenant qu’il n’y a pas lieu, d’ores et déjà, d’ordonner le partage de la communauté alors que la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux doivent être ordonnés par le juge qui prononce le divorce, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; (...) »
 
 
Le juge du divorce a donc l’obligation de déclencher les opérations de partage une fois le divorce prononcé en ordonnant ce partage dans sa décision de divorce.
 
Cette solution est très particulière : le juge du divorce aurait l’obligation d’ordonner la procédure de partage alors même qu’il n’en aura pas la maitrise ni le contrôle ultérieur puisqu’à l’issu de l’ordonnance de divorce, le juge du divorce ayant terminé son office, il se trouve obligatoirement dessaisi de l’entier dossier... y compris de la question relative au déroulement des opérations de partage.
 
Le juge du divorce va donc initier un processus, mais ensuite, advienne que pourra de ce processus puisque son office est terminé.
 
Le juge du divorce qui met fin à un premier incendie en ordonnant le divorce, en allume un nouveau en initiant une procédure de partage qui se déroulera hors de son contrôle.

 

2ème question : Le juge du divorce peut-il, ou doit-il désigner un notaire en vue de l’opération de partage qui succèdera à l’ordonnance de divorce ?

 
La réponse à cette question n’est pas difficile dans la mesure où celle-ci résulte des dispositions même des articles 267 alinéa 1er du Code civil et 1361 alinéa 2 du Code de procédure civile. Elle s’inscrit néanmoins dans une certaine logique nous semble-t-il, celle d’imposer dans la procédure de partage la présence systématique du notaire.
 
Le juge ne vat-t-il pas systématiquement désigner un notaire dans son ordonnance de divorce ? En effet, aux termes de l’arrêt de la 1ère Civ. 07 novembre 2012 (n°12-17394) :
 
« (…) Attendu que, pour infirmer la décision du juge aux affaires familiales désignant un notaire pour procéder à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux de M. X... et de Mme Y..., la cour d’appel a retenu qu’elle ne pouvait procéder à cette désignation ;
 
Qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a méconnu l’étendue de ses pouvoirs en violation des textes susvisés ;
(...) »
 
 

3ème question : Le juge du divorce face au paiement d’une demande en paiement d’une indemnité d’occupation

 
 
Ce troisième et dernier arrêt du 07 novembre 2012 vient en quelque sorte, comme une espèce d’illustrateur de la nécessité sinon juridique, en tout cas pratique de faire intervenir un notaire dans les opérations de partage.
 
L’espèce présentée ici et qui vient clôturer cette série, illustre le rôle du notaire aux fins d’aider le juge à trancher des demandes nécessitant des informations techniques et pratiques que le juge ne maîtrise pas toujours mais que le notaire est parfaitement en mesure de lui apporter.
 
Ainsi, en est-il de la question d’une demande relative au paiement d’une indemnité d’occupation, sur laquelle de nombreux cas de divorce ont en commun de voir exister de façon presque systématique un «désaccord persistant ».
 
Cet arrêt présente le cas de figure selon lequel le juge du divorce a, au moment de l’ordonnance de non conciliation, désigné un notaire en charge de rédiger un projet liquidatif et qui dans son projet a présenté une évaluation du bien immobilier à partager ainsi qu’une estimation de l’indemnité d’occupation.
 
Les magistrats du fond avaient toutefois refusé d’utiliser ces informations fournies par le notaire dans son projet pour répondre à la demande en paiement d’une indemnité d’occupation formulée par l’une des parties relative en se réfugiant derrière un artifice de procédure.
 
La cour de cassation va recadrer les juges du fond dans l’arrêt Civ. 07 novembre 2012 (11-17377) :
 
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... et M. Y... se sont mariés le 4 juillet 1970, sans contrat préalable ; qu’aux termes de l’ordonnance de non conciliation, un notaire a été désigné aux fins d’élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager ; que, par jugement du 22 septembre 2008, un juge aux affaires familiales a prononcé le divorce des époux pour acceptation du principe de la rupture du mariage et a condamné M. Y... à verser à Mme X... une prestation compensatoire en capital d’un montant de 15 000 euros ; Attendu que, confirmant cette décision, l’arrêt a, en outre, rejeté la demande en paiement d’une indemnité formée par Mme X... du chef de l’occupation de l’immeuble commun par M. Y... ;
(...)
 
Mais sur le second moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu les articles 255 10° et 267, alinéa 4, du code civil ;
 
Attendu que s’il a désigné un notaire lors de l’audience de conciliation pour élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager et si celui ci contient des informations suffisantes, le juge aux affaires familiales a le pouvoir, en cas de désaccord persistant, de fixer l’indemnité d’occupation à l’occasion du prononcé du divorce ;
 
Attendu que, pour rejeter la demande de Mme X... tendant à voir fixer l’indemnité d’occupation due par M. Y..., l’arrêt retient que la demande n’a pas été faite en application des dispositions de l’article 267 du code civil ;
 Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le rapport d’expertise établi le 20 décembre 2006 par le notaire désigné par l’ordonnance de non conciliation avait évalué le bien immobilier commun et l’indemnité d’occupation y afférente, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ;
PAR CES MOTIFS (...)
CASSE ET ANNULE, mais seulement ce qu’il a débouté Mme X... de sa demande tendant à voir fixer l’indemnité d’occupation, l’arrêt rendu le 4 novembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris (...) »
 
 
Ce dernier arrêt du 07 novembre 2012 est à double tranchant au plan pratique.
 
Dans un premier temps cet arrêt paraît satisfaisant car il incite le juge du divorce, à trancher la demande des justiciables dès lors que des éléments suffisants sont en sa possession, ce qui semble bien être le cas lorsque le notaire que le juge a lui-même désigné vient lui fournir les informations dont le juge a besoin pour statuer, y compris si les époux sont en total désaccord avec l’analyse et le chiffrage du notaire désigné.
 
Dans un second temps, cet arrêt fait du notaire l’architecte exclusif, incontournable et incontestable des opérations de partage, y compris pour le juge lui-même.
 
 
La marge de manœuvre du juge du divorce se trouve réduite : ce dernier a tout intérêt à systématiquement faire désigner un notaire afin que ce dernier fournisse au juge du divorce les « informations suffisantes », pour reprendre les termes du visa de cet arrêt et que seul ce dernier semble être en mesure de fournir au juge.
 
Cela entrainera-t-il pour le juge du divorce, l’obligation de se conformer à ces « informations suffisantes » ?

Pourtant, le juge n’est jamais lié par les dires d’un expert...
 
En tout cas, à titre sécuritaire pour le juge, celui-ci ne va-t-il pas se réfugier systématiquement derrière l’expertise du notaire ?
 

En outre, qui va contrôler que ces informations sont des « informations suffisantes » ? Et si le juge estime que ces informations ne sont pas suffisantes, la Cour de cassation laissera-t-elle cette appréciation au stricte pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ou viendra-t-elle en outre préciser ce que sont des « informations suffisantes » ?
 
La Cour de cassation ne serait-elle pas tentée de s’immiscer un peu plus dans le travail des juges du fond pour sanctionner la façon dont les juges du fond considèreront ces « informations suffisantes » ?
 
Il est en tout cas à peu près certain, que la Cour de cassation s’arrogera au moins la prérogative de contrôler la motivation des décisions du juge du fond quant au caractère « suffisant » de ces informations fournies, c’est d’ailleurs ce qu’elle a fait dans cette dernière décision du 07 novembre 2012.
 

Au final, ces trois décisions sont inquiétantes quant à l’évolution du devenir des procédures de partage à l’issu d’une ordonnance de divorce.