En cas de défaillance du médecin requis pour examiner un gardé à vue, l'OPJ doit constater la carence et faire diligence pour prendre attache avec un autre médecin.
La garde à vue permet à l’autorité publique de retenir pendant une durée de 24 heures (en-dehors de prolongation) toute personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit. Durant cette mesure de contrainte judiciaire, la personne peut bénéficier à sa demande, d’une visite médicale.
Le 10 octobre 2012, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt concernant la carence du médecin qui n’intervient pas dans les délais requis et les obligations qui incombent alors à l’officier de police judiciaire dans un tel cas de figure (1). Cet arrêt est rendu sous l’empire de l’ancienne loi relative à la garde à vue mais ne change strictement rien quant à l’appréciation de la question juridique du droit au médecin et est donc transposable en droit actuel.
Cette solution adoptée par la Cour de cassation semble respecter une certaine logique juridique. Elle n’en est toutefois pas moins problématique au niveau pratique, tant au regard du droit de la personne gardée à vue qu’au regard du risque encouru du fait du cette carence du médecin, notamment lorsque le gardé à vue est atteint d’une pathologie extrêmement contagieuse (2).
1. L’obligation de diligences de l’officier de police judiciaire : simple obligation de moyen sanctionnée par la seule atteinte aux intérêts du gardé à vue
1.
Lorsqu'un médecin légalement requis pour examiner une personne placée en garde à vue est défaillant au terme du délai prévu, l'officier de police judiciaire compétent a l’obligation de constater la carence et de faire diligence pour prendre attache avec un autre médecin.
2.
L’officier de police judiciaire doit être en mesure de prouver ses propres diligences.
3.
Toutefois, l'inexécution de cette diligence de la part de l’officier de police judiciaire ne peut entrainer la nullité de la mesure de garde à vue que si la personne gardée à vue apporte la preuve que la méconnaissance de cette formalité a porté atteinte à ses intérêts.
2. Une responsabilité mal appréciée
1.
Cet arrêt ne retient qu’une obligation de moyen de l’O.P.J. dans la visite médicale au gardé à vue sans mesurer les conséquences globales d’une telle décision. Cette solution peut se résumer ainsi : ce n’est pas la faute de l’O.P.J. puisqu’il n’a qu’une obligation de moyen. En conséquence, cela revient à dire que l’Etat n’a lui aussi qu’une obligation de moyen. Dont acte.
2.
Une telle analyse est parfaitement choquante et revient à admettre pour l’Etat d’être tenu en échec dans l’exécution de sa mission de service public en invoquant la défaillance d’un tiers (en l’espèce le médecin). Rassurez-vous entrepreneurs et professionnels qui me lisez, même si vous avancez le défaut de paiement de vos créanciers pour justifier du non paiement de votre URSSAF, vous n’aurez pas gain de cause.
3.
Lorsque la question de la responsabilité est posée, c’est bien celle de l’Etat lui-même et non celle de ses agents qu’il convient de considérer.
En effet, on ne pourrait engager la responsabilité disciplinaire de l’agent qui a été diligent. La question du défaut de diligence (comme c’est le cas du présent arrêt) est déjà plus sujette à controverse, même lorsque la personne victime du défaut de diligence n’aurait subi aucune atteinte à ses intérêts... Y compris dans le fait de ne pas avoir bénéficié d’un de ses droits fondamentaux.
Car, le droit à la visite médicale du gardé à vue s’impose toujours et avant tout, à l’égard de l’Etat et non à l’égard d’un officier de police judiciaire, seul.
3. La visite médicale protection des « intérêts » du garde à vue mais aussi des intérêts des tiers
Selon cet arrêt de la Cour de cassation, les seuls intérêts auxquels il est porté atteinte en privant le gardé à vue des diligences pour requérir un autre médecin seraient ceux du gardé à vue et lui seul.
C’est une grave erreur d’appréciation.
D’autres personnes peuvent subir les carences de la visite médical au gardé à vue : les personnes pouvant être en contact de façon directe (les agents) ou indirect (les autres gardés à vue placés en cellule après lui).
1.
« Il/elle a demandé à voir le médecin ? (...) P’tain, fait .... ! J’ai plus de requis... ! etc... » Combien de fois ce genre de phrases et d’interjections peuvent-elles tristement raisonner dans les couloirs des geôles de garde à vue.
Une épine dans le pied des agents, une contrainte de plus qui, comme le droit à l’avocat (le pire de tous bien évidemment) ralentit considérablement la progression de l’enquête car c’est bien connu dans une enquête en flag’ ou prélim’ , les droits fondamentaux du gardé à vue, sont perçus comme une obstruction au bon déroulement de l’enquête.
2.
Et pourtant quid de la personne ayant des problèmes cardiaques ? Le diabétique ? Le squizophrène ? La personne atteinte d’un cancer ? Les personnes astreintes à un traitement médical lourd et contraignant ? Etc...
Ce droit à la visite du médecin est autant une nécessité pour la protection de la personne humaine dont l’Etat s’empare pour au moins un délai de 24h, privant l’individu de tout accès au soin.
Mais c’est aussi une nécessité pour les personnels de police judiciaire qui se retrouvent au contact d’une personne dont elles ignorent si celle-ci ne serait pas atteinte de pathologies hautement contagieuses et qui peuvent représenter un véritable risque au plan épidémiologique : tuberculose, gale, parasites corporels (puces de corps, poux...) etc...
3.
En ces temps ou une certaines misère sociale tend à s’installer de façon durable pour certains de nos malheureux concitoyens et qui n’en sont pas moins des justiciables comme les autres, les pathologies liées aux conditions de vie précaires tendent elles aussi à se développer à nouveau et gagner du terrain de façon dramatique.
Certains commissariats en font l’expérience presque de façon quotidienne. D’autres, ne sont confrontés à ces situations là que de façons épisodiques et n’ont pas forcément les bons réflexes... Ou alors, trop tard...
Quid des agents dont certains exercent les mesures de contrainte sur des personnes en garde à vue menottés en les maintenant par le bras, l’épaule, au contact direct et que cet individu est porteur d’une maladie hautement contagieuse ? Il n’est effectivement pas rare que les agents qui interpellent prennent les mesures adéquates au moment de l’interpellation, mais ce n’est pas le cas des agents qui sont en commissariat ou en gendarmerie...
4.
Et que dire de la protection des locaux qui peuvent se trouver contaminés du seul fait du séjour d’une personne gardée à vue et hautement contagieuse pour son environnement (cf. la listes des maladies sus-évoquées ?) Et le risque pour les futures personnes placées en garde à vue et quid du risque pour les agents ?
Bref, quid du risque, tout court et pas seulement pour les intérêts de la seule personne en garde à vue du défaut de diligence lors de la visite médicale ?
5.
Enfin juste un petit mot sur le fait de poser à la personne placée en garde à vue la question de savoir si celle-ci est malade et veut voir un médecin.
Il serait peut être préférable que tous les acteurs de la garde à vue en France se rendent compte que la visite médicale n’est pas que la simple satisfaction d’un droit fondamental, d’un droit théorique sans intérêt et lorsqu’on relit les dispositions de l’alinéa 3 de l’actuel article 63-3 du Code pénal, « En l'absence de demande de la personne gardée à vue, du procureur de la République ou de l'officier de police judiciaire, un examen médical est de droit si un membre de sa famille le demande ; le médecin est désigné par le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire », on se dit que la visite médicale devrait être de droit, dans tous les cas de figure, au regard de la question de santé publique que pose cet article de façon générale.
« Alors, l’a pas demandé de médecin ? Et alors ? Trouve moi une ‘réquiz’ et plus vite que ça ! »
Voilà ce qu’on aimerait entendre !
Cass. 1re civ., 10 oct. 2012, n° 11-30 131
LA COUR - (…)
Sur le moyen unique, après avis de la chambre criminelle dans les conditions prévues à l'article 1015-1 du code de procédure civile :
Vu l'article 63-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, ensemble l'article 802 du même code ;
Attendu qu'il résulte du dernier alinéa du premier des textes susvisés, alors applicable, que, lorsqu'un médecin légalement requis pour examiner une personne gardée à vue faisait défaut au terme du délai qu'il avait indiqué, cette carence devait être constatée par l'officier de police judiciaire compétent qui devait alors prendre attache avec un autre médecin pour que celui-ci effectue l'examen médical ; que l'absence de renouvellement de cette diligence par l'officier de police judiciaire ne pouvait être admise, s'agissant d'une mesure dont l'objectif essentiel était de vérifier la compatibilité de l'état de la personne gardée à vue avec la mesure ; que l'inexécution de cette nouvelle diligence pouvait, selon les circonstances, constituer, en application des articles 171 et 802 du code de procédure pénale, une nullité dès lors que l'intéressé établissait que la méconnaissance de cette formalité avait porté atteinte à ses intérêts ;
• Attendu, selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel et les pièces de la procédure, que M. S., de nationalité indienne en situation irrégulière en France, a été interpellé le 28 février 2011 à 7h20 et placé en garde à vue pour séjour irrégulier ; que, lors de la notification des droits attachés à cette mesure, il a demandé à être examiné par un médecin qui, contacté à 8h par l'officier de police judiciaire, a déclaré qu'il se déplacerait au service de police dans les meilleurs délais ; que, avant son arrivée, M. S. a été victime d'un malaise dans les locaux de garde à vue, à 11h25, et qu'il a été admis dans une clinique où il a fait l'objet d'un premier examen médical à 13h ; que, son état ayant été déclaré compatible avec la garde à vue, il a été reconduit dans les locaux de police ; que le préfet des Pyrénées-Atlantiques a pris à son encontre un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de placement en rétention administrative ; qu'un juge des libertés et de la détention a refusé de prolonger cette mesure ;
• Attendu que, pour confirmer cette décision, le premier président retient que le délai de trois heures visé à l'article 63-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, ne s'applique qu'aux diligences résultant pour les enquêteurs de la communication des droits mentionnés aux articles 63-2 et 63-3 du même code, qu'il appartenait à l'officier de police judiciaire, en l'état de la carence du premier médecin, d'en désigner un autre pour examiner la personne gardée à vue et que M. S. avait ainsi subi une atteinte à l'exercice de ses droits ;
Qu'en se déterminant par de tels motifs desquels il ne résulte pas que le retard apporté à l'examen médical de M. S. aurait porté atteinte aux intérêts de celui-ci, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs :
• Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 4 mars 2011, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Pau ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ; (…)